Lire la Préface de Daté Atavito Barnabé-Akayi
La guerre
est-elle fatale ?
Tout
dramaturge cherche désespérément à installer, dans un espace fictionnel ou
référentiel, une vie paradisiaque (symbole d’un spectacle vivant), en vue de
permettre au cerveau du spectateur – ou du lecteur – d’esquisser un rire non forcé, spontané, naturel ou une
réflexion approfondie sur sa propre existence tant le monde réel tel qu’il s’offre
à lui privilégie les cannibales, qui est semblable à une maison de squelettes,
à un plat fumant d’ossements, à une coupe de sang d’hommes égorgés ou éventrés
que boivent les gardiens de la Paix et de la Défense des droits de la personne
humaine que sont les Chefs d’État et leurs acolytes tutélaires ou
tétraplégiques. Émile Élomon semble avoir signé un contrat avec son public dans
la description des horreurs et des terreurs sociopolitiques qui envahissent la
terre, et à s’en tenir aux toponymes et à quelque onomastique, la terre
africaine, notamment ivoirienne.
L’axe
dramatique est tracé autour de la guerre avec de microtraces d’histoire
pathétique et tragique comme dans le théâtre élisabéthain, lequel a permis au
Colonel de se faire politologue et polémologue. Politologue, Émile Élomon
s’incruste dans les relations internationales, efface la suprématie du
président de la république de Domy-Pardy (il ne prendra la parole qu’une seule
fois dans toute la pièce) et s’interroge sur la puissance des diplomates
étrangers qui, imbibés d’hypocrisie et prenant les Africains belligérants pour
des pantins, les font faire leur volonté. Polémologue, il passe au peigne fin
la vie atroce des orphelins de guerre, des veuves, et en l’occurrence, des
jeunes gens qui brûlent leurs angoisses dans l’éthyle. Et c’est par la langue
d’un fou que l’auteur crache sa révolte et son indignation sur la jeunesse
censée rétablir l’ordre, laquelle se perd. C’est encore le fou qui prend en
main la survie des enfants rescapés. Sans doute pour Élomon, à l’instar
d’autres écrivains compatriotes comme Apollinaire Agbazahou (Cf. Le fou de La bataille du trône), la folie,
connotant ici, la raison – donc le dialogue –, est la voie possible pour le
retour à la paix.
Le sang sucré se veut alors une pièce théâtrale où
domine le dialogue ou le récit au détriment des actions meurtrières : on
peut y voir la bienséance exigée du classicisme. Mais l’auteur semble fatigué
des fratricides, des génocides, et imposer un réseau de conversation,
d’affrontement d’idées où avant que ne prennent la parole les guides spirituels
de toutes obédiences, même les personnages, les plus haïssables, dévidés
d’humanité et semblables aux marionnettes fabriquées pour soutenir les actions
du mal et pour exhorter les autres hoquets du même acabit à l’extermination de
l’ethnie sœur et adverse, tiennent des propos cohérents et laissent voir toute
leur lucidité, donc leurs responsabilités dans le conflit, comme le
souligne un rebelle, faux militaire, qui s’est impunément octroyé le titre
de Maréchal
dit Petit Caillou :
« Les dirigeants
africains ne sont en réalité que des marionnettes que les Américains ou les
Européens font mouvoir à leur rythme et selon la cadence qu’ils veulent bien
lui imposer. Bref ! Ce qui urge actuellement, c’est le combat contre le vol de
la chose publique, la corruption effrénée des hommes à la tête de l’État,
l’enrichissement illicite des hommes politiques, le détournement éhonté des
fonds de l’État, l’arrogance généralisée des dirigeants et l’exclusion
ethnicisée d’une frange de la population. Nous devons d’abord faire le ménage dans
notre maison avant de nous préoccuper de l’état de la cour du voisin. Les
Puissances du monde, il vaudrait mieux
aujourd’hui les avoir avec soi que de les avoir contre soi. »
A
propos des personnages responsables ou victimes de la guerre, et de leur
psychologie ou de leur symbolisme, l’auteur semble les investir d’un langage
digne de leur rang social. La créolisation ou le soutenu du langage n’implique
pas seulement le réalisme belliqueux des antagonistes, elle connote leur
lacération psychologique ou leur volonté de puissance. Et quant à leur nombre
insondable, Émile Élomon, dès sa première pièce théâtrale L’appel des Esprits, rappelle Vinaver dont la pièce Par-dessus bord écrite en 1967 héberge une cinquantaine de
personnages. Le sang sucré, par le
nombre impressionnant de ses personnages, s’inscrit dans la même école avec une
pléthore d’espaces : Émile Élomon veut sans doute faire lire sa pièce par
un réalisateur plutôt que par un metteur en scène dans la mesure où cette pièce
difficilement vendable à l’étranger (sauf en cas de cumul de rôles) indique que
le dramaturge procédant à une thérapie cathartique, pousse bien loin de sa
conscience qui a vécu en live jusqu’à quel point l’homme peut ressembler à
l’animal, et donne à voir cet effroi en image mais en image mobile et fictive.
L’écrivain apparaît tiraillé, partagé entre un univers où le Bien se solde par
la mort au même titre que le mal et un monde où les méchants vivent heureux et
meurent parfois heureux.
La
guerre, pour Élomon, est fondamentalement à proscrire de la vie, quoiqu’à la
beuverie neuvième, supposée être la dernière, une nouvelle guerre éclate,
plongeant les habitants de Domy-Pardy, le spectateur, le cinéphile, ou le
lecteur dans un éternel questionnement philosophique : même avec des
dirigeants responsables, pacifiques, et pacifistes, la guerre est-elle fatale,
et donc inhérente à l’existence humaine ? Si elle est nécessaire, rapporte-t-elle
plus d’épanouissement à l’espèce humaine ?
Daté Atavito
Barnabé-Akayi,
Accra, entre Côte
d’Ivoire et Togo
(deux pays qui savent
de quoi il est question),
le 16 août 2013
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